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Chronique d'Asie (suite)

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Chiang Mai (Thaïlande)

À force de voir des éléphants par tout, en statues, en peintures, en bibelots et jusqu'aux tags sur les murs, on s'est dit qu'on irait bien en voir en vrai, des éléphants !
Mais, attention, pas question de faire ça n'importe comment.
Le sujet des éléphants est assez sensible dans la région : longtemps exploités et maltraités, ils transportaient les touristes, leur cul posé sur d'énormes structures harnachées sur leur dos sensible avec, toujours, des crochets plantés dans les oreilles pour que le dresseur puisse les diriger facilement.
Résultat : multiples blessures, déformations de la colonne vertébrale, douleurs, malheur, souffrance animale à gogo pour quelques dollars, bref, pas cool.
Pas cool du tout. Les assoc' pour la défense des animaux s'en sont mêlées, ont sensibilisé touristes et tours opérateurs et, aujourd'hui, la plupart des rencontres proposées avec les éléphants consistent simplement à les nourrir, les baigner, à nager avec et, parfois, à les monter "dos nu" (ce qui reste controversé).

On a donc décidé de confier notre éthique et notre morale au gars de l'hôtel qui nous proposait depuis plusieurs jours une excursion à prix réduit "to see the elephants".
Le lendemain un guide local viendrait nous chercher et nous amènerait, entre autres, rendre visite aux énormes pachydermes si prisés des touristes du Nord de la Thaïlande.

Nous voilà le lendemain, à l'arrière d'un pick-up bringuebalant, à faire connaissance avec les deux apprenties médecins barcelonaises et l'avocat-prof français qui partageront notre journée de balade.
Premier arrêt : la "ferme aux papillons", un élevage de papillons destiné à recoloniser la région.
On déambule dans des serres saturées de l'odeur des orchidées qui y poussent et, bien sûr, pleines de papillons multicolores qui volent tranquillement autour de nous.

Après ça, visite au village des Long Neck Karens, un peuple réfugié du Sud de la Chine dont les femmes se rallongent traditionnellement le cou à l'aide de colliers d'anneaux dorés.
Tradition qui n'est plus aujourd'hui qu'un prétexte pour attirer le visiteur et lui faire acheter les productions locales.

Vient ensuite le moment de rencontrer les éléphants.
Nous arrivons dans ce qui semble être une petite ferme familiale ; chiens, poulets et poussins courent librement entre nos jambes, les éléphants sont à l'autre bout de leur enclos, ouvert côté route et côté rivière.
Comme tous les animaux domestiques de la terre, lorsque le fermier apporte le panier de bouffe, les deux éléphants se précipitent vers nous.
Nous passerons alors une bonne demi heure à leur refiler des morceaux de canne à sucre qu'ils attrapent délicatement du bout de la trompe et fourrent dans leur bouche par paquets de trois ou quatre.

Les dresseurs nous proposent ensuite de "laver les éléphants".
C'est là que nous sautent aux yeux quelques "détails" que la clôture nous cachait auparavant : menotte et courte chaîne à la patte avant, nombreuses cicatrices sur les oreilles sûrement dues aux crochets de dressage, défenses coupées, en voyant les animaux de plus près on devine qu'ils n'ont pas toujours été bien traités.
Pour les mener à la rivière afin qu'on puisse les baigner, les fermiers leur tirent l'oreille et les fouettent avec un petit bâton souple.
On ne devine aucune affection entre humains et animaux.
Ceux-ci n'ont même pas de nom.

Je serai la seule à entrer dans la rivière mais, devant la réticence des éléphants à y rester, j'abandonnerai vite. Pas nécessaire d'encourager les dresseurs à employer leurs moyens coercitifs pour forcer les bestioles à se baigner alors qu'elles n'en ont pas envie.

Résultat mitigé, donc, pour cette rencontre "éthique"...
Des petites exploitations familiales qui ont investi dans les éléphants, il y en a des dizaines dans la région de Chiang Mai.
Les animaux sont récupérés d'anciennes organisations proposant des balades sur leur dos (ce qui est maintenant interdit) ou carrément arrachés à la vie sauvage.
La manière de les dresser et de les traiter dépend du bon vouloir des humains qui s'en occupent...
Et même si les humains en question ne leur montent plus sur le dos, ça reste des animaux en captivité, élevés et vivant au crochet des hommes, difficile pour eux de retourner dans un milieu naturel, surtout qu'il n'existe plus beaucoup de lieux où ils peuvent vivre tranquille et en sécurité... Mouais.

On finira la journée par une randonnée de deux heures dans la jungle, destination : une magnifique chute d'eau cachée par la végétation luxuriante.

Voilà donc pour les éléphants de Chiang Mai.
Regrets d'avoir payé et donc cautionné ça sans savoir ce qui nous attendait.

Doi Inthanon, Chiang Rai et Triangle d'Or (Thaïlande)

Nos escapades hors de la ville commencent par le parc national de Doi Inthanon.
Anciennement Doi Luang, ou "montagne du roi", le plus haut sommet de Thaïlande - culminant avec fierté à 2565 mètres - a été renommé en l'honneur du dernier roi Lanna de Chiang Mai, Intha Witchayanon (ouais, ils ont eu le bonne idée de raccourcir en "Inthanon").
Il a tellement kiffé cette montagne qu'il a demandé à ce que ses cendres soient répandues là.
Elles y ont été transférées en 1897, pas loin du sommet de la montagne.
On y trouve encore aujourd'hui un mémorial en son honneur.

Faut savoir que la province de Chang Mai, autrefois habitée par le peuple Lanna, est restée indépendante longtemps.
Plus ancien que le Siam (nom d'alors de la Thaïlande actuelle), le royaume Lanna, fondé en 1259 par le roi Mengrai, était un ensemble de cités-états plus ou moins autonomes.
Ils ont été annexés à la Thaïlande en 1892.
On verra la différence entre le modeste mémorial à Intha Witchayanon, perdu dans la végétation montagnarde et les très dorés et très kitsch "chedi", mausolées construits non loin du plus haut sommet, en honneur au roi et à la reine de Thaïlande... spa la même culture.

Doi Inthanon est le seul endroit de Thaïlande où la température peut descendre en dessous de zéro.
Dès qu'il y neige, les Thaïs s'y précipitent pour voir ce si rare manteau blanc recouvrir la région.
Choc thermique quand on sait que quelques kilomètres plus bas, il fait 35 degrés toute l'année.

C'est aussi le début de la zone où on cultivait sans complexe le pavot destiné à la fabrication de l'opium et de l'héroïne : le fameux triangle d'or.
Aujourd'hui, le gouvernement lutte pour réhabiliter les cultures et fournit aux agriculteurs subsides et formations pour remplacer le pavot par le café arabica.
Il existe même une sorte de café, un peu à la manière du Kopi Luak africain, dont le traitement consiste à être digéré (et chié) par les éléphants.
Sinon, de manière plus classique disons, les grains de cafés à la peau rouge sont d'abord épluchés, puis séchés au soleil avant d'être trempés dans l'eau jusqu'à germination puis séchés à nouveau au soleil jusqu'à noircir totalement.

Parmi ces agriculteurs, de nombreuses tribus Karens, réfugiées du Sud de la Chine ou du Myanmar.
On rencontrera les White Karens, établis depuis plus d'un siècle dans ce qui est aujourd'hui le parc national de Doi Inthanon.
Leur nom vient de la tradition consistant, pour les femmes non mariées, à porter une tunique de coton blanc.
Dès l'âge de 9 ans, les femmes de cette tribu apprenaient l'art ancestral du tissage. 
En résultent de magnifiques tissus et vêtements aux mille couleurs (sauf pour les meufs célibataires bien sûr). Trois semaines pour une écharpe, trois mois pour une couverture de lit, fallait du temps et de la patience.
À l'heure actuelle, les filles comme les garçons vont à l'école, les hommes de la tribu bossent comme gardes pour le parc national, les femmes cultivent un peu de café et il n'y a plus que les mamys qui savent encore tisser.

On sera étonnés de trouver chapelles et crucifix dans ces villages du fond des montagnes thaïlandaises.
Les missionnaires catholiques sont passés par là : 70% des Karens sont donc chrétiens... Les autres sont bouddhistes, une occasion pour eux d'envoyer leurs fils aux monastères où ils seront éduqués, logés, nourris, blanchis : une charge en moins pour la tribu.

En parlant des moines, savez-vous comment distinguer ceux qui vivent en ville de ceux qui vivent à la campagne ?
À leur embonpoint.
Les premiers sont gavés d'offrandes tandis que ceux qui vivent dans des monastères plus reculés doivent se servir de la nature environnante pour y trouver leur pitance : cueillette ou culture.

Visite ensuite du triangle d'or, une petite île triangulaire au milieu du fleuve Mékong n'appartenant à aucun des trois pays dont les frontières se croisent ici (Thaïlande, Laos et Myanmar), où les trafiquants d'opium donnaient rendez-vous à leurs clients pour échanger leur production d'opium contre de l'or, plus intéressant que les monnaies locales.

Passage à Chiang Rai, enfin, où on visite le magnifique temple blanc, le temple bleu où tout est peint en nuances de bleu, vert et violet et la "black house", un musée rassemblant les créations très gothiques de l'artiste aujourd'hui décédé Thawan Duchanee.

Vouli voilou, regardez les photos pour les temples de Chiang Rai, ça vaut la peine

Pai (Thaïlande)

Nous voilà quittant Chiang Mai dans un mini-van vaguement climatisé tressautant sur les routes montagneuses. Trois heures de tournants en tête d'épingle, entre falaises et précipices, à contourner les motos intrépides, dépasser les camions de fermiers trop lents et s'arrêter pour laisser traverser des troupeaux de vaches laitières toutes maigres.

Destination : Pai. Une ville où sont restés coincés les hippies des années 70 et qui attire tous les routards modernes.
Salons de tatouage, bars, soirées, cirque, art de rue, spectacles de feu, on a plus l'impression de se retrouver dans un festival psytrance que dans une petite ville thaïlandaise.
Les visages croisés sont quasi exclusivement blancs et les occidentaux installés ici tiennent commerces, hôtels, bars et salons de tattoo.
On parle anglais, allemand, français autant que thaïlandais.

Sur la route vers Pai, le mini-van se fait soudain arrêter par un barrage de militaires.
"Nobody moves !" nous aboie-t'on dans un anglais agressif tandis qu'un des soldats monte dans le bus pour contrôler... notre température.
Avec son masque, ses gants et son thermomètre du futur, c'est en fait un employé du ministère de la santé, comme l'atteste l'écusson au caducée sur son uniforme.
Paranoïa, paranoïaaaaa...
Heureusement personne n'est malade, on aurait peut-être tous fini en quarantaine préventive.

Autour de Pai la nature est juste magnifique et étonnante.
Tout d'abord les grottes, que l'on visite avec un guide portant une lampe à huile.
Pour aller d'une zone à l'autre, on emprunte la rivière, assis en tailleur sur des radeaux en bambou que le guide conduit à l'aide d'une longue perche.
Dans les 50 cm d'eau nagent des centaines de gros poissons noirs et les cavernes que l'on traverse résonnent des cris des milliers de chauve-souris pendue au plafond.
 
Après les grottes, passage aux sources chaudes.
On y rentre comme dans un bain et, malgré les 30 degrés à l'ombre, on aurait presque froid en sortant.
Il y a aussi le "bamboo bridge", un pont en bambou d'1km de long qui traverse un marécage pour nous amener à un temple où les "women" ne sont "not allow" (en anglais dans le texte, faute comprise).
C'est quoi ce sexisme encore ?!
Déjà qu'on est les seules à devoir couvrir nos genoux et nos épaules à chaque "sacred place" (et il y en a un paquet en Thaïlande, des sacred places)...
Genre un genoux et une épaule de mec c'est pas sexy mais chez les meufs, oulaaaah, ça risquerait de sortir Bouddha de son nirvana.
En parlant de temples, on rend une petite visite au White Buddha, une statue géante installée dans les hauteurs que l'on peut voir d'à peu près partout dans la ville.
Pour avoir le droit de monter près du bouddha géant, il faut s'habiller chastement !
Heureusement, pour les femelles impures et imprévoyantes, des moines louent des tenues convenables - plus horribles les unes que les autres - pour quelques centimes d'euros. C'est la première et la dernière fois de ma vie que je porte une jupe à losanges bordeaux avec un foulard jaune canari à grosses fleurs roses.
Aujourd'hui mon sens de l'esthétique a été irrémédiablement blessé.

Une autre tradition à ne pas manquer quand on visite Pai consiste à aller admirer le coucher de soleil depuis les chemins tortueux au sommet des falaises du Canyon.
Terre rouge, roche striée noire et écarlate, arbres qui perdent leurs grandes feuilles rousses comme un été indien, paysages arides... C'est juste canon!
On y monte en fin d'après-midi.
Assis face à l'ouest, les jambes pendues dans le vide, le soleil n'est plus qu'une boule rouge qui disparaît à l'horizon vers 18h20 (et après ça il commence à faire noir ! Voilà pourquoi les Thaïlandais se couchent tôt et se lèvent tôt, à 18h30 c'est la nuit).

De retour en ville, le marché de nuit est un vrai cauchemar pour les boulimiques en rémission.
Trop de bons trucs à manger partout : beignets en tous genres, gyozas, nouilles, pad thai, falafels, soupes, crêpes, mini pancakes, fruits frais, mangues au riz gluant,...
Impossible de tout goûter sans prendre dix mille kilos.
Ambiance festive tranquille, dans les bars de la ville c'est "happy hour" toute la soirée, on s'y arrête pour boire des mojitos et jouer aux jeux de société disposés sur les tables.

Enfin, repos à notre "hostel" où nous louons pour 8€ la nuit un bungalow en paille dans ce qui ressemble plus à un campement de hippies qu'à une auberge : feu de camp toute la soirée, musique techno et psytrance, tags à la peinture fluo sur les murs...
On reste dans le thème de Pai disons.

Voili voilou pour nos deux jours dans cette petite ville du nord de la Thaïlande, refuge des rêveurs alternatifs, qui semble ancrée toute l'année quelque part hors de la réalité.