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Histoires Belge

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“Veuvechters” et bagarreurs professionnels

Du côté des Marolles

Le journaliste (et vieux Bruxellois) Jacques Van Melkebeke rapporte, dans un petit livre paru pendant la dexrnière guerre et introuvable aujourd’hui (« Imageries Bruxelloises », Maréchal, édit, Bruxelles, 1943.), une série de souvenirs vécus de notre capitale. Nous en extrayons les lignes qui suivent, mettant en lumière cette atmosphère de bagarres si caractéristique qui régnait au quartier des Marolles dans les premières années du siècle dernier

Le goût de la violence heureuse s’est manifesté de tout temps du côté de la rue Haute. Qui ne connaît, au moins de nom, les veuvechters, gardiens de l’ordre dans les sales de danse ?
Ce n’est pas pour rien que les fenêtres du bureau de police de la grande voie populaire sont grillagées. Car, jadis, quand on parvenait à y traîner un malandrin, ses amis tentaient de le délivrer. Parfois, l'affaire devenait si chaude que seul un coup de revolver tiré en l'air pouvait faire place nette. Dans la rue soudain vide, il n'y avait plus qu’à récolter les casquettes…

Le “maître de la rue des Alexiens”

“…Il y eut des époques où l’un ou l’autre bagarreur professionnel régnait sur tout un quartier. J’ai souvenance notamment d’un “maître de la rue des Alexiens” qui, malgré son air inoffensif et sa pâleur, était prestigieux. Bien entendu, sa réputation suscitait des jalousies.
Un jour qu’il jouait tranquillement au “vogelpik”, entra dans le café le plus terrible batailleur de la rue de la Samaritaine, véritable monument de chair ambulante, qui vint se poster tout contre le jeune homme, uniquement absorbé par la légitime ambition de réussir une rose, le bousculant de la panse et ricanant : - Ici, tiens, le fort ! Il y a un cent kilos pour toi ! La dernière syllabe n’était pas achevée que l’homme, harponné par les revers, se voyait gratifié de quelques fulgurants coups de tête en pleine face, projeté tout jaillissant sur le dallage sonore et achevé au talon. Technique infiniment classique. Mais le “maître de la rue de la Samaritaine” était persévérant et, par trois fois, il tint à renouveler l’expérience qui finit chaque fois aussi mal.
Alors, se rendant clairement compte que si se tromper est humain, s’obstiner est diabolique, il se retira définitivement, la mâchoire démantibulée et les yeux noirâtres, en murmurant :- Na kom ek nemi wije, zelle ! (Maintenant, je ne reviendrai plus, sais-tu  !).

Coup de pied au c…
à “La Cour des Miracles”

“…Quelques-unes de plus belles bagarres du quartier ont eu pour théâtre un cabaret appelé “La cour des Miracles”, à cause des innombrables mendiants qui s’y donnaient rendez-vous : d’horribles vieilles s’y dépoitraillaient pour un quart bock!
Une nuit qu’un groupe de batailleurs venait d’être expulsé de cet agréable établissement et achevait de vider la question au milieu d’un grand concours de peuple, je vis soudain un prodigieux coup de pied au cul se tromper d’adresse par suite de la promptitude du destinataire à l’éviter, et une malheureuse bonne femme venue là en spectatrice l’encaisser à pleine charge, avec un bruit creux pareil à celui que produirait un carton à chapeau brutalement défoncé.
Instantanément l’infortunée, à la fois stupéfaite et ulcérée, se prit les fesses à pleines mains et décampa en hurlant :
- Oh ! Mes ovaires ! Mes ovaires…La police arriva sur ces entrefaites et les agents dispersèrent les combattants dans un style parfait, en leur envoyant en plein thorax de déséquilibrantes bourrades redoublées vivement, sans écouter aucune explication (…)


Un hareng à la daube en pleine gueule !

Un batailleur redouté, toujours en quête d’une mauvaise affaire, provoquait un soir assez bassement un pauvre diable épouvanté. La foule ameutée lui ayant arraché sa victime, le matamore déçu s’en prit soudain à un garçon d’une quinzaine d’années qui, porteur d’une assiette où marinait un hareng à la daube, avait suivi l’algarade avec intérêt.
Comme l’ivrogne écumant le secouait, le gamin articula :
- Lot ma gerust, of ik plek men taluur of a bakkes ! (Laisse-moi tranquille, ou je te colle mon assiette sur la gueule).
Ce qui eut pour effet, bien entendu, de décupler la rogne de la brute. Et, tout à coup, avec un bruit pareil à un coup de pistolet, l’assiette vint se fracasser sur la face du vilain bonhomme sidéré, le hareng froid se colla dans son cou, tandis qu’une guirlande d’oignons s’accrochait dans ses cheveux !
J’ai rarement entendu des gens rire de meilleur cœur…”
Une délicieuse ambiance

“…Un des cabarets proches de la rue du Renard était tenu par un couple inouï. L’homme, un sombre abruti, ivrogne et querelleur, la femme, athlétique, virago au nez camus, des tatouages jusqu’au-dessus des cuisses. L’hiver, cette personne raffinée ne quittait jamais son comptoir à cause du froid, et c’était merveille de la voir, sans interrompre la conversation, s’emparer de temps en temps d’un récipient placé sous le comptoir et s’en servir gracieusement, avec un bruit de grandes eaux.
Ces pacifiques conjoints s’empoignaient souvent entre eux. Ceci au notable amusement de la clientèle, composée d’horribles crapules, de benêts et d’authentiques braves gens. Il ne se passait guère de jour sans empoignade dans cet asile délicieux, et nul ne pensait à s’émouvoir quand, une fois de plus, s’élevaient des cris de fauve mêlés au fracas des meubles percutants. Tout cela dans un torrent d’injures que la morale empêche de reproduire ici et dont la plus policée était : - Enfant de corbeau ! Ta mère t’a chié en volant !
Bref, de l’ambiance, de la vraie…”

 









Pcc Jacques Van Melkebeke - Illustrations d’Ashaverus